Cautionnement de la société par le dirigeant, le chef d’entreprise ou l’associé : panorama jurisprudentiel

 Cass. 1ère civ.,  14 novembre 2012 : Pourvoi n° 11-24341

Résumé : Lorsque le gérant d’entreprise qui contracte un engagement de caution solidaire avec son épouse commune en biens pour une dette de la société, le caractère disproportionné de l’engagement s’analyse certes au regard de ses biens propres, mais également à l’égard de ceux de la communauté.

Aux termes des dispositions de l’article 1415 du Code civil, il résulte que :

« Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres ».

Les époux qui sont mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts contractent un engagement de cautions solidaires d’un prêt octroyé par une banque à la société dont l’époux est le gérant.

Une fois la défaillance de la société acquise, la banque actionne l’épouse es qualité de caution solidaire.

Celle-ci fait juger par la Cour d’appel que son engagement de caution était disproportionné par rapport à ses biens et revenus propres, ce en vertu des dispositions de l’article L. 341-4 du Code de la consommation dispose :

« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».

La Haute Juridiction casse cet arrêt d’appel au motif que les deux époux « s’étaient simultanément et par un même acte constitués cautions solidaires pour la garantie d’une même dette, ce dont il résultait que le caractère manifestement disproportionné de l’engagement de Mme X… devait s’apprécier au regard non seulement de ses biens propres mais aussi des biens et revenus de la communauté ».

Il est notable de constater que c’est la même solution qui a été retenue quelques mois plus tard par la Chambre commerciale de la Cour de cassation :

Cass.com., 5 février 2013 : Pourvoi n°11-18644 : Publié au Bulletin

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 Cass. 2ème civ., 27 septembre 2012 : Pourvoi n° 11-23285

Résumé : Un dirigeante de société, personne physique, qui se porte caution de la société est éligible au droit du surendettement.

Le premier alinéa de l’article L. 330-1 du Code de la consommation dispose :

« La situation de surendettement des personnes physiques est caractérisée par l’impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir. L’impossibilité manifeste pour une personne physique de bonne foi de faire face à l’engagement qu’elle a donné de cautionner ou d’acquitter solidairement la dette d’un entrepreneur individuel ou d’une société caractérise également une situation de surendettement. (sic) ».

L’arrêt du 27 septembre 2012 répond par l’affirmative à la question de savoir si un dirigeant personne physique qui contracte un engagement de caution au profit de la société, débitrice principal, peut valablement saisir la commission de surendettement d’une demande de traitement de sa situation.

Il était permis de douter d’une telle solution compte tenu du fait que l’endettement de la caution était de nature professionnelle et ne résultait pas d’un achat de consommation.

Au visa du premier alinéa de l’article L. 330-1 du Code de la consommation rappelé ci-dessus, la Cour de cassation juge qu’une situation de surendettement – ouvrant droit au bénéfice du dispositif législatif prévu en matière de surendettement – est caractérisée par « l’impossibilité manifeste pour une personne physique de bonne foi de faire face à l’engagement qu’elle a donné de cautionner la dette d’une société, qu’elle en ait été ou non la dirigeante ».

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 Cass. com., 2 octobre 2012 : Pourvoi n° 11-28331 : Publié au Bulletin

Résumé : Le conjoint du chef d’entreprise n’est pas une caution avertie. La banque commet une faute en lui faisant souscrire un engagement disproportionné alors qu’elle est sans emploi et perçoit uniquement des allocations familiales.

Soit une personne physique qui se comporte caution solidaire envers une société de l’avance sur remise octroyée à son compagnon.

Suite à la mise en cause de la caution celle-ci se défend et fait juger par la Cour de cassation que bien qu’elle soit effectivement intéressée par le devenir de l’entreprise de son compagnon, débiteur principal, et en récolte les fruits financiers, elle n’intervient en rien dans la gestion de la société de ce dernier et n’avait ni la qualité d’associé ni de conjoint collaborateur, ce que mentionne l’arrêt.

La Société qui avait consenti une avance sur remise dans le cadre de son activité commerciale est un créancier professionnel. Ce créancier professionnel est jugé fautif pour lui avoir fait souscrire à la caution un engagement disproportionné, ce en vertu des dispositions de l’article L. 341-4 du Code de la consommation.

Cet engagement de caution était en effet disproportionné compte tenu du fait qu’elle était sans emploi et du fait que seules des allocations familiales constituaient ses sources de revenus.

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Cass. 1ère civ., 4 mai 2012 : Pourvoi n° 11-11461 ; Bull. civ. 2012, I, n° 97

Résumé : L’éventuelle disproportion du cautionnement par rapport aux biens et revenus de la caution s’analyse non pas uniquement par rapport à la santé financière de la caution au moment où celle-ci contracte son engagement mais également par rapport aux perspectives de développement ou de réussite de l’opération mise en place par la société débitrice principale dont l’emprunt est ainsi garanti.

Un créancier professionnel ne peut valablement se prévaloir d’un engagement de caution donné par le gérant d’une société lorsque cet engagement est disproportionné à ses biens et revenus ainsi qu’à ceux de la caution (Article L. 341-4 du Code de la consommation).

Du côté de la caution, il se pose la question de savoir si la disproportion s’analyse par rapport aux revenus et biens présents à l’actif de la caution au jour de la signature de l’engagement de caution ou bien si cette disproportion doit être mis en corrélation avec les perspective d’avenir de la société qui a souscrit un prêt pour lequel le gérant s’est porté caution solidaire.

Dans cet arrêt du 4 mai 2012, la Haute Juridiction juge que compte tenu des perspectives de développent de l’entreprise les facultés contributives du gérant s’étant porté caution de l’emprunt de la société qu’il a créée ne sont pas disproportionnées à ses biens et revenus. Par suite, un tel engagement de cautionnement ne peut encourir la nullité pour « disproportion de l’engagement » au visa de l’article L. 341-4 du Code de la consommation.

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Cass. com., 11 avril 2012 : Pourvoi n° 10-25904 : Bull. civ. 2012, IV, n° 76

Résumé : Un dirigeant d’entreprise d’une société fraichement créée n’est pas forcément une caution avertie ; le banquier est tenu à son égard d’une obligation de mise en garde de la portée de son engagement de caution.

Le banquier est tenu d’un devoir de mise en garde à l’égard de la caution profane ou non avertie.

Généralement, le chef d’entreprise, qui contracte un engagement de caution pour les besoins d’un emprunt sollicité par sa société n’est pas considéré comme un client profane ou non averti, de sorte que le banquier est dégagé de ses obligations de mise en garde sur la portée de son engagement à son égard.

Nonobstant, compte tenu des circonstances de l’affaire, la gérante, par ailleurs caution, n’a pas été considérée comme une caution avertie.

Pour ce faire, la Cour de cassation retient tout d’abord qu’aucun bilan comptable prévisionnel n’a été présenté à la gérante lors de la souscription du prêt de la société, de sorte qu’elle n’a pas été mise en mesure d’apprécier l’éventuelle non adaptation du prêt aux capacités financières de la société.

Pour nier le caractère averti de la caution, la Cour retient ensuite la nature des études de la gérante et sa précédente activité professionnelle, savoir un DESS de l’information et de la documentation et la profession de documentaliste. La Cour considère que ce diplôme et cette précédente expérience professionnelle ne sont pas de nature à conférer à la gérante la qualité de caution avertie en matière de gestion d’une société commerciale.

Pour toutes ces raisons, le banquier prêteur devait assurer la parfaite information de la caution et s’acquitter de son devoir de mise en garde.

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Cass. 1ère civ., 8 mars 2012 : Pourvoi n° 09-12246 ; Bull. civ. 2012, I, n° 53

Résumé : Les règles protectrices du consommateur sont applicables à la caution gérante associée d’une société commerciale qui peut demander la nullité de l’acte de cautionnement en cas de non-respect de ces règles.

Le Code de la consommation prévoit une protection du consommateur personne physique qui s’engage à cautionner le paiement d’une dette envers un créancier professionnel par l’apposition d’une formule manuscrite édictée par le législateur.

L’article L. 341-2 du Code de la consommation dispose en effet :

« Toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même. »

Par ailleurs, un protocole transactionnel ne peut être attaqué pour une erreur de droit.

L’article 2052 du Code civil dispose en effet :

« Les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort.

Elles ne peuvent être attaquées pour cause d’erreur de droit, ni pour cause de lésion ».

Deux époux associés et gérants de deux sociétés avaient conclu un protocole transactionnel avec une banque (Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie). Ce protocole délimitait les contours de la dette de ces deux sociétés vis-à-vis de la banque et prévoyait que les époux se portaient caution des sociétés débitrices.

Ce protocole ne respectait pas les dispositions de l’article L. 341-2 du Code de la consommation, les époux n’ayant pas complété la formule manuscrite prévue par ledit texte.

Dans son arrêt du 8 mars 2012, la Cour de cassation juge :

  • que les dispositions protectrices du Code de la consommation sont applicables à toutes personnes physiques, y compris à la personne physique gérante associée d’une société commerciale qui se porte caution en faveur d’un professionnel ; en cela, la 1ère chambre civile rejoint la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com. 10 janv. 2012 : n° 10-26630 ; Bull. civ. 2012, IV, n° 2) ;
  • que leur non-respect ne constitue pas une erreur de droit insusceptible de générer la nullité d’un engagement de cautionnement. Cette caution peut donc solliciter la nullité de ce cautionnement jugé irrégulier.

Par Maître Thomas Canfin, Docteur en droit, Avocat d’affaires associé au Barreau de Nice, Spécialiste en droit bancaire et boursier, Spécialiste en Droit commercial, des affaires et de la concurrence.

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