Le divorce à l’Italienne

Nous raisonnerons dans le cas, fréquent, de 2 époux qui sont de nationalité italienne, résidant en France avec les enfants.

I / La Compétence de la Juridiction française :

a – Bref rappel de l’évolution du Droit en la matière

La principale difficulté à laquelle se trouve confronté le juge, en présence d’un élément d’extranéité, est de déterminer sa compétence au plan international avec cette précision que les époux appartiennent à l’Union Européenne.

1 – Pendant  longtemps, les règles applicables ont été d’origine prétorienne.

2 – Cependant, depuis l’ascendance du droit de l’Union sur les Droits nationaux, les solutions classiques ont été modifiées par l’incorporation en droit interne , de divers instruments communautaires qui constituent, désormais, le droit commun de la compétence juridictionnelle des Etats Membres.

* Règlement « Bruxelles II » du 29 mai 2000, entré en vigueur le 1er mars 2001 relatif « à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale vis-à-vis des enfants communs ».

Depuis ce Règlement, la compétence internationale en matière de divorce est régie par le Droit communautaire.

Dès lors, les règles de compétence nationale sont d’application résiduelle.

Ce Règlement a été abrogé au profit du Règlement « Bruxelles II bis ».

* Règlement n°2201-2003 « Bruxelles II bis » du 27.11.2003

=) Les obligations alimentaires et la responsabilité civile restent exclues  de son domaine d’application

=) Dans toutes les situations, il permet de déterminer la compétence en matière de responsabilité parentale

NB : Le Règlement n°4/2009 du 18.12.2008 relatif aux obligations alimentaires est entrée en vigueur le 18.06.2011 remplaçant le Règlement antérieur du 22.12.2000 dit Règlement « Bruxelles I » :

=) il a un domaine d’application universel : il est le seul texte qui pourra permettre de déterminer la compétence du juge français en matière d’obligation alimentaire.

=) pour mémoire : Convention de la Haye du 19 octobre 1996, entrée en vigueur le 01.02.2011, relative à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection  à l’égard des enfants.

Ce texte s’applique avec les autres Etats contractants non membre de l’Union Européenne pour déterminer la juridiction compétente en matière de responsabilité parentale.

b –  La compétence internationale en matière de divorce

1 – Principe de primauté du droit de l’Union européenne

Cass.civ., 1ère, 22 fév. 2005, n°02-20409 :

Arrêt dans lequel la Cour de Cassation a censuré une Cour d’Appel pour avoir fondé leur compétence sur un texte national (art.14 du Code civil au lieu et place de l’art.2 du Règlement « Bruxelles II) du fait de la nationalité française des époux.

  • Primauté du Règlement « Bruxelles II bis » sur le Droit national

1 – Fondement textuel du Règlement : Art. 6 «Caractère exclusif des compétences définies aux articles 3, 4 et 5 » :

« Un époux qui :

a) a sa résidence habituelle sur le territoire d’un Etat membre, ou

b) est ressortissant d’un Etat membre ou, dans le cas du Royaume-Uni (…)

ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre Etat membre qu’en vertu des articles 3, 4 et 5 ».

 

2 – Compétence résiduelle du Droit national : art. 7 « Compétences résiduelles » :

« 1. Lorsqu’aucune juridiction d’un Etat membre n’est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5, la compétence est, dans chaque Etat membre, réglée par la loi de cet Etat (…). »

Pratique de lecture : Le Règlement européen doit être en premier consulté lorsqu’il s’agit d’établir la compétence d’un juge aux affaires familiales. A défaut de compétence des juridictions françaises, il convient de vérifier si les juridictions d’un autre Etat Membre ne seraient pas compétentes.

Ce ne sera qu’en cas de réponse négative à celle-ci que la compétence du Juge aux affaires familiales pourra être fondée en fonction du Droit national.

Mais, y compris même dans cette hypothèse, le juge français ne pourra se reconnaître compétent qu’à la double condition que le défendeur ne soit ni un ressortissant d’un autre Etat membre, ni résidant habituellement dans un Etat membre.

  • Mise en œuvre de la primauté du Règlement « Bruxelles II bis » et la vocation subsidiaire du droit commun

1 – Les chefs de compétence sont alternatifs et non hiérarchisés.

2 – Risques engendrés par la multiplication des compétences

L’éventail des compétences potentielles offertes par le Règlement européen en matière de divorce est très large : deux juridictions de deux Etats peuvent être saisies de manière indifférente ;

En droit de l’Union européenne, il n’existe pas de règles de conflit de lois unifiées

La saisine de la juridiction française est possible sur le fondement de l’article 3.1 a) en vertu duquel :

« 1. Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux ;, les juridictions de l’Etat membre :

 a) sur le territoire duquel se trouve :

 (…)

 – la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande.

 * Application du Règlement n°1259/2010 du 20 décembre 2010, entré en vigueur le 21 juin 2012, instaurant une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps et de l’uniformisation des règles de conflit de lois qui en résulte.

Ce texte n’est applicable  qu’entre les Etats qui l’ont ratifié dont la France et l’ITALIE

Il faut se référer à la définition juridique du droit communautaire pour apprécier le concept de « résidence habituelle » dégagée par les juges communautaires.

=) la résidence habituelle est « une notion autonome de droit communautaire » qui « se définit comme le lieu ou l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent de ses intérêts ».

CJCE 29 sept. 1998, aff C-90/97, Swaddling c/ Adjudication Officer, Rec CJCE 1999 I-01075

C.A Aix-en-Provence 18 nov. 2004,

Cass.civ., 1ère , 14 déc. 2005, n°05-10951

2 – Le traitement de la « litispendance » dans l’Union Européenne

Article 19 du Règlement « Bruxelles II bis »

La mise en œuvre de l’exception de litispendance s’opère en 2 temps :

– le juge d’un Etat-membre saisi d’une action en divorce et informé qu’une action est pendante devant la juridiction d’un autre Etat membre doit surseoir à statuer le temps que l’autre juridiction établisse sa compétence

– lorsque l’autre juridiction a établi sa compétence et, dès lors que cette dernière s’impose, la juridiction en cause doit se dessaisir

L’article 16 du Règlement « Bruxelles II bis » donne la définition de ce qu’il faut entendre par « saisine » : c’est une définition autonome propre au droit européen : la juridiction sera réputée saisie soit à la date du dépôt de l’acte introductif d’instance auprès de la juridiction, soit à la date à laquelle l’autorité chargée de la signification a reçu l’acte lorsque cette signification doit être faite avant le dépôt auprès de la juridiction.

Chaque Ordre juridique détermine les modalités de la saisine de ses juridictions.

En droit français,  la date de saisine est-elle la date de dépôt de la requête en divorce ou la date de l’assignation en divorce ?

La Cour de cassation considère que les juridictions françaises doivent être considérées comme saisies au sens du droit communautaire dès le dépôt de la requête en divorce.

Cass.civ.1ère, 11 juillet 2006, n°04-20.405 et 05-19231

c-  La compétence internationale quant aux conséquences du divorce

Les règles de compétence internationale varient selon que le litige a trait aux conséquences du divorce entre les époux  où à l’égard des enfants.

1 – Conséquences entre les époux

Les règles de compétence découlent du Règlement « Bruxelles I ».

Il faut distinguer :

* Les litiges relatifs aux pensions et prestations

En droit international privé, les pensions et prestations relèvent de la catégorie « obligations alimentaires » dont les prestations compensatoires : CJCE 6 mars 1980 aff. C-12/79 DE CAVEL II Rec, CJCE p 731

Elles sont régies :

=) Jusqu’au 18 juin 2011 par le Règlement n°44-2001 du 22 décembre 2000 dit Règlement de « Bruxelles I »

=) depuis le 18 juin 2011 : par le Règlement n° 4/2009 du 18 décembre 2008

S’agissant des procédures engagées après cette date, seul le texte « Obligation alimentaire » est applicable. Ce texte ne fait aucune place au droit interne : seul ce texte doit être pris en compte pour déterminer si les juridictions françaises sont compétentes en matière d’obligations alimentaires.

Sont régies par ce texte toutes les obligations alimentaires (part contributive à l’entretien des enfants, devoir de secours, prestation compensatoire…).

Art 3 du Règlement du 18.12.2008 :

Son compétentes en matière d’obligations alimentaires :

« a) la juridiction du lieu ou le défendeur a sa résidence, ou

b) la juridiction du lieu ou le créancier à sa résidence habituelle, ou

c) la juridiction qui est compétente selon la loi du for (c’est la possibilité de déterminer la juridiction compétente pour un litige relatif à une obligation alimentaire »

* Les demandes de dommages et intérêts

Question : le juge saisi du divorce est il compétent pour statuer sur cette demande de dommages et intérêts ? Réponse NON

Compétence de saisine de la juridiction italienne

Article 20 « Mesures provisoires et conservatoires »

1. En cas d’urgence, les dispositions du présent règlement n’empêchent pas les juridictions d’un Etat membre de prendre des mesures provisoires ou conservatoires relatives aux personnes ou aux biens présents.

2 – Conséquences à l’égard des enfants

Problème : il peut arriver que les parties introduisent des actions relatives à la responsabilité parentale à l’égard du même enfant, ayant le même objet et la même cause, dans différents Etats membres.

Cela peut donc générer des actions parallèles et donc des décisions contradictoires inconciliables.

Solution : article 19, § 2 : lorsque des actions relatives à la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, ayant le même objet et la même cause, sont introduites auprès de juridictions d’Etats membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction saisie soit établie.

En matière de responsabilité parentale, ce mécanisme de litispendance sera rarement utilisé dans la mesure où l’enfant a généralement sa résidence habituelle dans un seul Etat membre dans lequel les juridictions sont compétentes selon la règle générale de compétence de l’article 8.

NB : article 8 : « Les juridictions d’un Etat membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet Etat membre au moment où la juridiction est saisie »

NB : article 9 : « 1. Lorsqu’un enfant déménage légalement d’un Etat membre vers un autre Etat membre et y acquiert une nouvelle résidence habituelle, les juridictions de l’Etat membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant gardent leur compétence, par dérogation à l’article 8, durant une période de trois mois suivant le déménagement, pour modifier une  décision concernant le droit de visite  rendue dans cet Etat membre, avant que l’enfant ait déménagé, lorsque le titulaire du droit de visite en vertu de la décision concernant le droit de visite continue à résider habituellement dans l’Etat membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant. ».

Par Maître Edith TOLEDANO, Avocat associé